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Droits d’auteur- Eric Zemmour condamné par la Justice française, les explications

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Pour avoir illustré sa déclaration de candidature à l’élection présidentielle d’extraits de films, sans autorisation des titulaires de droits, Eric Zemmour, son parti politique et le représentant légal de celui-ci, ont été condamnés, pour violation des droits d’auteurs, par un jugement du Tribunal judiciaire de Paris du 4 mars 2022.  L’éclairage d’Emmanuel Derieux, professeur à l’Université Panthéon-Assas (Paris 2) et auteur de Droit des médias. Droit français, européen et international.

Le 30 novembre 2021, Eric Zemmour diffusait, avec l’appui de son parti politique, à travers un réseau social, une plateforme vidéo et divers sites internes, relayés et repris, intégralement ou par extraits, par différentes chaines de télévision, sa déclaration de candidature à l’élection présidentielle qu’il illustrait d’extraits de films, sans autorisation des titulaires de droits. Après avoir vainement adressé aux intéressés des mises en demeure de cesser ces formes d’exploitation, les titulaires de droits les assignèrent en justice pour violation de leurs droits. En un jugement du 4 mars 2022, (n° 22/00034, le Tribunal judiciaire de Paris, 3e ch., 2e sect.), a constaté les faits de contrefaçon et condamné les personnes qui en ont été tenues pour responsables.

Au-delà même du contexte de l’affaire et de la personnalité des défendeurs, objets d’un grand écho médiatique, s’agissant de campagne électorale et de respect des droits intellectuels (« Quand la campagne présidentielle s’émancipe des droits de propriété intellectuelle », Actu-Juridique.fr, 25 janvier 2022), le jugement rendu, très précis, détaillé et motivé, mérite l’attention en ce que, comme cela est fait en d’autres affaires, il procède au constat et à la sanction des atteintes aux droits d’auteurs.

Reconnaissant aux différents demandeurs la qualité de titulaires de droits et, en conséquence, la recevabilité de leur action, le jugement retient les faits d’atteintes au droit patrimonial et au droit moral des auteurs.

*Recevabilité de l’action des demandeurs

En cette action, ont été demandeurs : des réalisateurs de documentaires et de films, les ayants droit de différents titulaires originaires de droits d’auteurs, diverses sociétés de production cinématographique et la Société des auteurs et compositeurs dramatiques (SACD).

Alors que les défendeurs ont tenté de contester la recevabilité de leur action, faute de qualité à agir, le jugement, leur reconnaissant la qualité d’auteurs, de cessionnaires de droits ou, s’agissant de la SACD, le droit d’« intervenir en justice aux côtés de ses membres pour appuyer leurs prétentions », les a déclarés recevables en leur action.

*Atteinte au droit patrimonial d’auteur

Les demandeurs faisant valoir que l’utilisation, sans leur autorisation, des extraits de films portait atteinte à leur droit patrimonial d’auteur, les défendeurs ont tenté de se prévaloir de l’exception de courte citation et de leur droit à la liberté d’expression. Ces deux arguments ont été écartés par les juges.

L’article L. 122-5 du Code de la propriété intellectuelle (CPI) autorise certes, à titre d’exception au droit patrimonial d’auteur, les « courtes citations » justifiées notamment par le caractère « d’information de l’œuvre à laquelle elles sont incorporées » et « sous réserve que soient indiqués clairement le nom de l’auteur et la source ».

En l’espèce, le jugement a retenu qu’il n’a pas été satisfait à l’exigence des mentions requises, compte tenu de l’incertitude relative à l’existence d’un lien internet, associé à la diffusion de la vidéo contestée, qui aurait permis d’y accéder.

Il a surtout été considéré que, « les extraits utilisés, bien que suffisamment brefs puisqu’ils ne durent chacun que quelques secondes, alors qu’ils sont issus de longs métrages, ne peuvent toutefois être considérés comme justifiés par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information de la vidéo litigieuse puisqu’ils ne sont présents qu’à titre de simples illustrations en guise de fond visuel du discours prononcé » et qu’ils « ne visent donc nullement un but exclusif d’information immédiate en relation directe avec les œuvres dont ils sont issus ».

N’a pas davantage été retenue par le jugement la tentative de justification, par les défendeurs, des emprunts faits aux œuvres protégées, par la revendication du droit à la liberté d’expression. L’exercice de celui-ci doit se concilier avec le respect des droits d’auteurs.

*Atteinte au droit moral d’auteur

Les demandeurs firent par ailleurs valoir que, du fait de l’emploi des extraits des œuvres, il avait été porté atteinte au droit moral des auteurs et particulièrement à leur droit au nom ou à la paternité et au respect de leurs œuvres.

Pour le tribunal, qui ne pouvait conclure autrement, en l’absence de mention du nom des auteurs, « l’atteinte au droit à la paternité est caractérisée ».

Le jugement a retenu également que « c’est à bon droit » que les demandeurs ont fait « valoir que les extraits ayant été utilisés pour accompagner le discours de candidature d’un homme politique, ce comportement porte atteinte au droit au respect de l’œuvre et en constitue une dénaturation dès lors que détournées de leur finalité première, qui est de distraire ou d’informer, les œuvres audiovisuelles ont été utilisées, sans autorisation, à des fins politiques ». Il en est particulièrement ainsi si les titulaires de droits ne partagent pas la ligne politique du candidat.

Les atteintes constatées aux droits des auteurs ont justifié leur sanction.

Sanction des atteintes aux droits d’auteurs

Considérant comme recevable la mise en jeu de la responsabilité des défendeurs, le jugement les a condamnés, pour atteintes aux droits d’auteurs, à cesser l’exploitation des extraits de films en cause et à verser de dommages intérêts aux demandeurs. Par contre, il a rejeté la demande de publication de la décision rendue.

*Mise en jeu de la responsabilité des défendeurs

L’action ayant été engagée contre Eric Zemmour, l’association en soutien de sa candidature et le président de cette dernière, ceux-ci ont contesté que leur responsabilité puisse être retenue. Les considérant comme créateur et administrateur de la page du réseau social et de la chaîne de la plateforme en ligne, ou responsable du site sur lequel la vidéo litigieuse a été mise en ligne, et éditeur d’un autre site, le jugement les a retenus tous en leur qualité de défendeurs à l’action et susceptibles de voir ainsi leur responsabilité engagée.

*Condamnation à la suppression des extraits litigieux

Aux termes de l’article L. 331-1-4 CPI, « en cas de condamnation civile pour contrefaçon […] la juridiction peut ordonner, à la demande de la partie lésée, que les objets réalisés […] portant atteinte à ces droits » soient écartés.

C’est au moins la « suppression des extraits litigieux », tels qu’ils avaient été insérés dans la vidéo de déclaration de candidature d’Eric Zemmour, qui a ici été ordonnée.

A cette fin, ordre a été donné aux défendeurs, « sous astreinte de 1.500 euros par jour de retard », de « cesser de diffuser une version de la vidéo […] qui ne serait pas expurgée des extraits des films » auxquels ils ont été empruntés.

*Condamnation à versement de dommages intérêts

Les trois défendeurs ont été solidairement condamnés à verser, à chacun des neuf demandeurs, la somme de 5.000 euros en réparation du préjudice qu’ils sont subi du fait de l’atteinte portée à leurs droits.

Rejet de la demande de publication de la décision de condamnation

L’article L. 331-1-4 CPI pose, par ailleurs, que, en cas de condamnation pour contrefaçon, « la juridiction peut aussi ordonner toute mesure appropriée de publicité du jugement, notamment son affichage ou sa publication intégrale ou par extraits dans les journaux ou sur les services de communication au public en ligne qu’elle désigne, selon les modalités qu’elle précise ».

En cette affaire, le Tribunal a considéré cependant que, « compte tenu du contexte de l’affaire et de l’exposition médiatique dont elle a bénéficié en dehors de toute communication judiciaire, la demande de publication de la décision, qui a vocation à informer le public de la condamnation prononcée, n’apparaît pas, au cas d’espèce, nécessaire ».

Source: https:www.actu-juridique.fr