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Dabou: Les affrontements font place à la méfiance

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21 morts. C’est le lourd bilan des affrontements communautaires qui ont endeuillé la ville de Dabou les 19, 20 et 21 Octobre. Les activités ont repris mais la ville reste profondément marquée. Reportage.

Samedi 21 novembre 2020, c’est jour de marché à Dabou. Difficile de se frayer un chemin entre les étalages des commerçants installés dans les rues adjacentes du grand marché. Signe que les activités commerciales redémarrent. Deux semaines auparavant, la circulation était totalement fluide dans le grand marché. De nombreux commerçants rechignaient encore à ouvrir et les potentiels clients hésitaient à mettre le nez dehors soit par prudence soit par peur à cause de la situation sécuritaire volatile. “Je ne sortais que lorsque c’était nécessaire“, confie Salif Coulibaly, un client rencontré dans les dédales du grand marché.

À la gare des villages, même constat de la reprise. Selon M. Coulibaly, Secrétaire Général de la section du Haut conseil du patronat des entreprises des transports routiers, grâce aux efforts entrepris par le syndicat, les transporteurs Adjoukrou méfiants après la crise sont revenus prendre leur place au sein de la gare. “Nous leur avons dit que nous sommes frères. Ils peuvent venir prendre leur place. Tous les 14 villages sont rentrés. La gare est à nouveau pleine“, affirme-t-il, déplorant au passage un bilan “amer” pour les transporteurs de la ville.

On n’a jamais connu de crise où on a égorgé quelqu’un”

Un mois après la crise, nombreux sont les habitants qui s’expliquent encore difficilement ce qui est arrivé tant par la gravité que par la tournure des évènements.” Personne n’a compris ce qui s’est passé”, confie Soumaïla Sorouba.
Il y a longtemps que nous sommes à Dabou, mais on a jamais vu ce qui s’est passé. C’est-à-dire égorger de sang froid quelqu’un. De surcroît un vieillard grabataire qu’on a trouvé allongé dans son lit“, enfonce Cissé Ibrahima. Marie Meledj, une ex-fonctionnaire qui rêvait d’une retraite dorée dans son village ne revient pas encore de sa frayeur. Elle se dit ébranlée par ces évènements.” C’est la première fois que je voyais des chars et hélicoptères dans mon village, à Débrimou”, soutient-elle.

Pourtant, la crise n’est pas tombée du ciel. Selon Oustaz Abou Koné, président de la Cellule civilo militaire, la veille, c’est-à-dire dimanche 18 Octobre 2020, face à des rumeurs persistantes, une réunion de prévention s’était tenue à la préfecture. Malheureusement, le lundi, l’inévitable s’est produit. “Très tôt le lundi 19 Octobre 2020, nous avons été saisis du côté du corridor de Sikensi d’une imminente confrontation entre les jeunes Adjoukrou et Malinké. Immédiatement, nous avons été sur place pour essayer de parler aux jeunes. Les jeunes Adjoukrou, certains encagoulés et d’autres munis de gourdins et autres étaient déterminés à marcher. Les jeunes Dioula qui disaient vouloir éviter des casses essayaient de les empêcher d’arriver en ville. J’ai aussitôt appelé le commandant de brigade qui est venu nous trouver. Pendant qu’on essayait de mener la méditation, il a commencé à pleuvoir des cailloux. Nous ne pouvions plus les maîtriser. Ça été la cohue”, explique Oustaz Koné. Les vitres de l’ambulance appelée à la rescousse pour venir chercher le blessé grave volent en éclats.

Au même moment, un autre front s’ouvre du côté du village Agneby, en venant d’Abidjan.” On a appris que deux de nos “massas” (des véhicules de transport routier, NDLR) ont été attaqués par des jeunes de Agneby”, raconte Ouédraogo Mady, syndicaliste du secteur du transport routier de la ville. Des groupe de jeunes Malinké vont aussitôt apporter la réplique aux villageois.” Tout le village a été pillé et tous les compteurs d’eau cassés. Là où je vous parle, il n’y a plus aucun poste téléviseur dans aucune maison”, témoigne Gnagne Mel Joseph, président des jeunes de Agneby. Mais, selon lui, le village a plutôt été attaqué par des “microbes” (jeunes enfants bandits armés d’arme blanche apparus après la crise postélectorale de 2010-2011, NDLR) venus d’Abidjan.” Ce sont des “microbes” venus dans deux “massas” ( mini car de transports, ndlr) d’Abidjan qui ont attaqué le village“, situe-t-il. L’attaque de l’Agneby se répand très vite comme une traînée de poudre dans les 32 autres villages Adjoukrou qui se barricadent, à leur tour, craignant d’être attaqués. “Nous avons été informés dans les villages que les Adjoukrou sont attaqués. En ce moment, on ne parlait plus politique, on s’est dit que c’est le peuple Adjoukrou qui est attaqué”, soutient Gnagne Agnès.

Des mains occultes derrière

De l’autre côté également, des rumeurs d’attaque envahissent toute la ville. Les jeunes Malinkés sont sur le qui-vive. On sort les machettes et les gourdins pour attendre l'”ennemi“. C’est toute la ville qui est en ce moment, bloquée comme le signifie Oustaz Abou Koné.” La ville était aux mains des jeunes et on ne maîtrisait plus rien“, rappelle-t-il. Face à la gravité de la situation, un couvre-feu est envisagé dès lundi 19 Octobre 2020. Des éléments de la marine nationale arrivés par voie lagunaire et des forces spéciales sont dépêchés sur place entre lundi soir et mardi. Mais, ceux-ci sont très peu pour contenir les camps opposés. C’est finalement le mercredi 21 Octobre 2020 que le couvre-feu sera instauré.

Ce mercredi, les affrontements atteignent leur point culminant avec l’entrée en scène de personnes extérieures, selon plusieurs sources, qui ont commis un massacre au quartier Yakagni. Au moins une dizaine de personnes trouvent la mort dans ce quartier périphérique.” Quand deux voleurs se battent, arrive un troisième larron“, carricature Oustaz Abou Koné. Elles sont nombreuses, les personnes qui sont convaincues de l’immixtion de mains occultes dans cette crise. Elles affirment que l’attaque du quartier Yakagni, a été perpétrée par des personnes “infiltrées“.” Quand Yakagni a été attaqué, les FDS ont poursuivi les assaillants. Mais, ils ont dû rebrousser chemin face à la puissance de feu de ceux qui les ont attaquées avec des armes de guerre“, soutient Issa Fanny, président des jeunes du quartier Mangorotou. M. Coulibaly, du Haut conseil soutient également cette version.” Le week-end, nous avons observé à la gare des mouvements suspects, de personnes parlant anglais“, indique-t-il.

De nombreuses violations des droits de l’homme ont été commises pendant cette période. Aux dires de Mme Ablo, responsable de la Commission régionale de la CNDH, Dabou est  fichée comme une “zone rouge à cause des violations perpétrées“. En effet, au bilan de cette crise, on enregistre près de 70 blessés,  une  soixantaine de maisons détruites et 18 véhicules calcinés. La crise a entraîné un déplacement de 35% de la population, selon des sources indépendantes. Ce phénomène a été ressenti dans les établissements scolaires lors de la rentrée scolaire au retour des congés de Toussaint. Les classes n’ont pas retrouvé leurs effectifs globaux. Au constat de la dégradation de la cohésion sociale, les familles Malinké qui louaient leurs maisons aux élèves Adjoukrou, en ville, refusent de les recevoir désormais chez elles. Ce qui explique que des élèves soient encore bloqués dans les villages. À l’inverse, certains Malinké hésitent à se rendre dans leurs plantations, situées hors de la ville.

Une crise aux origines lointaines

Les populations sont d’avis que si la crise a pris des allures incontrôlées, cela est dû aux réseaux sociaux. ” À partir des réseaux sociaux, on manipule nos enfants et puis on ne les maîtrise plus. Si le gouvernement pouvait faire quelque chose dans ce sens, ce serait bien. Sinon les réseaux sociaux vont finir par nous anéantir“, plaide Marie Meledj. La conséquence directe de la crise, c’est la méfiance qui semble désormais s’installer entre populations, croit savoir Oustaz Koné. “Beaucoup d’élèves n’ont pas repris les cours parce que leurs tuteurs sont des Malinké. Donc les parents hésitent, sont méfiants pour emmener leurs enfants après ce qui s’est passé“, soutient-il.

Pour lui, il faut durablement trouver une solution à cette crise. “La crise de Dabou a des origines lointaines. Déjà en 2010, on a connu 7 morts. Le mal, il est profond. C’est dû à la mauvaise compréhension de la notion de nation par certains compatriotes. Un ivoirien où qu’il se trouve est chez lui. Certains politiciens profitent de cette mauvaise compréhension pour attiser la haine entre nos populations pour les emmener à s’entre-déchirer et asseoir leurs ambitions”, condamne le président de la Cellule civilo militaire de la Région des Grands-Ponts. L’abbé Lath, curé de la paroisse Conception immaculée partage le même avis.

C’est le politique qui met le feu”, indexe-t-il. Les hommes politiques, pour leur part, n’entendent pas croiser les bras après la grave crise. L’honorable Hilaire Meledj, annonce des tournées de sensibilisation dans les quartiers et villages pour briser le verre de glace entre communautés.

Des délégations cosmopolites iront dans tous les quartiers et villages pour expliquer aux gens que nous sommes condamnés à vivre ensemble. De manière à ce que la paix revienne et que Dabou retrouve le sens de son appellation Leboutou qui veut dire accepter l’étranger. Nous allons prendre le temps qu’il faut pour faire ces tournées mais nous allons aller aussi vite parce qu’on est pressé. Chacun doit comprendre que nous avons été tous perdants“, annonce-t-il. L’honorable Hilaire Meledj salue le chef suprême des armées, le président Alassane Ouattara, à travers lui, les forces armées qui selon lui ont agi avec professionnalisme pour ramener l’ordre.

Sur instruction du chef de l’Etat, les forces de l’ordre ont agi avec rigueur et fermeté.  et n’ont pas tiré un seul coup de feu pendant le maintien d’ordre”, signale-t-il.

Dans la foulée de cette crise plusieurs arrestations ont eu lieu par les forces de l’ordre, côté Malinké comme Adjoukrou. Ils sont tous détenus à la MACA, à Abidjan. Une préoccupation que partage désormais les deux communautés soucieuses aujourd’hui de voir leurs enfants libres. “Ceux qui ont commis des actes criminels doivent payer. Mais, que ceux qui n’ont rien à y faire soient libérés. C’est aujourd’hui notre grande préoccupation”, plaide Oustaz Abou Koné.

I.T