L’orpaillage illicite connaît une intensification en Côte d’Ivoire ces dernières années au détriment de l’agriculture, pilier de l’économie ivoirienne.
L’orpaillage clandestin était, au départ, du fait des populations locales et pratiqué de façon saisonnière. Mais, aujourd’hui il est aux mains des ressortissants de la CEDEAO et attire même des opérateurs asiatiques, selon Dr Aboua Gustave, Directeur général du développement durable. Presque toutes les régions sont concernées par ce phénomène qui a d’énormes conséquences sur l’environnement et la vie des communautés locales. La fièvre de l’or a gagné tout le pays. Les données du ministère de l’Industrie et des Mines actualisées en 2014, indiquent que la prolifération des sites d’orpaillage touche 24 régions sur les 31 que compte la Côte d’Ivoire et que l’activité est exercée par 500 000 personnes dans les milieux ruraux (voir carte). La situation pourrait, à la longue, être très préjudiciable à l’un des piliers de l’économie ivoirienne.
Si on s’en tient aux chiffres de la Banque Mondiale, l’agriculture contribue à plus de 25% du PIB, emploie 2/3 de la population active et assure 40% des exportations du pays. On a coutume de dire qu’il n’y a de richesse que d’homme. Si l’agriculture ivoirienne est aussi performante, c’est grâce aux hommes et femmes qui la pratiquent. Mais le constat, aujourd’hui, est la forte migration de la main d’oeuvre agricole vers l’orpaillage illicite.
Selon Ahoba Georges, Directeur de l’Exploitation minière semi industrielle, artisanale et des carrières au ministère des Mines et de la Géologie, plusieurs facteurs combinés expliquent l’intensification de l’orpaillage illicite. Ce sont, selon lui, les crises sociopolitiques, l’absence de l’administration dans certaines zones du pays et l’augmentation du cours mondial de l’or qui est passé dans les années 2000 de 3500 FCFA à 25000 CFA.” Il existe une législation pour la pratique de l’orpaillage licite qui est de deux natures: l’orpaillage semi industriel et l’orpaillage artisanal”, souligne-t-il. En 1998, on dénombrait ainsi 400 orpailleurs enregistrés auprès du ministère des Mines.
À côté de ceux qui sont reconnus dans les fichiers de l’Etat, malheureusement se trouvent de nombreux orpailleurs clandestins dont l’activité nuit gravement à l’environnement et aux populations. L’orpaillage clandestin menace même l’agriculture ivoirienne dans ces fondamentaux. “C’est une activité qui est beaucoup lucrative et c’est aussi de l’argent rapide, selon les populations elles- mêmes. Un ouvrier agricole gagne 1000 à 1200 CFA/ jour contre 2000 FCFA pour un orpailleur clandestin“, explique Manni Zogbé, Directeur de la maîtrise de l’Eau et de la Modernisation des exploitations au ministère de l’Agriculture.
L’activité minière draine d’importants flux financiers. Au regard des gains générés, les zones de production sont envahies par l’insécurité avec l’apparition des coupeurs de route et plus graves, de bandes armées.” Des cartels rivaux et bandes armées se forment pour le contrôle du périmètre et la sécurisation de l’activité”, souligne Dr Aboua Gustave.
Sur les sites d’orpaillage clandestin ce sont de vraies industries minières qui se sont développées avec l’arrivée de nouveaux opérateurs économiques dans le milieu que sont les chinois, poursuit Dr Aboua.” Ils sont très équipés avec de vrais laboratoires qu’ils installent et du matériel lourd pour l’exploitation comme des porte-chars“, révèle-t-il.
Toute la chaîne de valeur en est impactée
Ces bandes puissamment armées n’hésitent pas à ouvrir le feu sur les forces de sécurité pour défendre leur “territoire”, ce que relève le Directeur technique de la Sodefor, Léon Siagoua.” À Taï, nos agents ont été pris à partie. Du côté de San Pedro, certains ont également essuyé des tirs“, témoigne-t-il.
Sur les sites d’orpaillage clandestin se développent également de nombreuses activités délictueuses: la prostitution, le trafic et la consommation de drogue etc. Aussi les terres cédées par les paysans deviennent irrécupérables après le passage des orpailleurs. “Quand les clandestins passent, on ne peut plus rien cultiver sur cette parcelle“, affirme Camara Issouf, planteur. L’or n’étant pas une matière éternelle fini par tarir. Les orpailleurs clandestins abandonnent la parcelle en question pour une autre. La prolifération des sites d’orpaillage entraîne inexorablement un amenuisement des superficies des exploitations agricoles pouvant entraîner une insécurité alimentaire.
L’orpaillage illicite a également des impacts sur les unités de production agricole. Le témoignage de Serges Eddi, Directeur de l’unité agricole intégrée de la SAPH de Bettié est éloquent à ce sujet.” À cause de l’insécurité créée par cette situation, on a des retards de livraison de nos clients et d’approvisionnement en matière première. Parce que la route est très souvent coupée par les coupeurs de route. La main d’œuvre qui se fait rare n’est plus outillée pour faire la saignée à cause de la drogue. On est obligé d’aller en chercher à Guiglo, parfois même dans la sous-région“, confie-t-il.
Aujourd’hui, c’est l’agriculture qui est menacée dans toute sa chaîne de valeur par l’orpaillage clandestin.” Le problème est grave”, alerte le président de l’Unemaf (Union des Entreprises du Monde Agricole et Forestières), Yoro Bi Tizié. Sa structure qui s’est très tôt rendue compte de l’ampleur du phénomène a organisé le 31 mars 2021 un atelier. Objectif : sensibiliser l’ensemble des acteurs de ce secteur sur les effets négatifs du phénomène de l’orpaillage. Il était question, selon M. Yoro d’arrêter une stratégie globale de lutte en vue d’endiguer le phénomène. D’ici à 2025, si les choses restent en l’état, le déficit en personnel agricole qui croit d’année en année pourrait atteindre 3 900 000 personnes en 2025, selon le Programme National d’Investissement Agricole (PNIA).
I.T