Yoshihide Suga est une anomalie au sein du PLD. Il est le fils d’un cultivateur de fraises et d’une enseignante, et son site internet officiel précise qu’il a financé ses études en enchaînant les petits boulots comme manutentionnaire dans une usine de cartons, et dans le grand marché aux poissons de la capitale. Un profil inconnu pour le parti conservateur, dominé par les héritiers de grandes familles politiciennes, remontant à avant la Seconde Guerre mondiale, et parfois même à l’époque féodale.
Yoshihide Suga vient du nord du Japon, de la région du Tohoku, « une des provinces traditionnellement considérées comme dures, pauvres : le “pays des neiges” », souligne Valérie Niquet, responsable du pôle Asie à la Fondation pour la recherche stratégique et auteur du livre Le Japon en 100 questions. « Donc, cela lui donne un côté “ancré dans la réalité” qui peut être très sympathique pour une partie de la population japonaise attachée à des traditions, à une image du Japon ancien qui est en train de disparaître dans les villes. » Yoshihide Suga met d’ailleurs volontiers en avant ses origines rurales.
Au cœur de la politique intérieure de Shinzo Abe
Après des études de droit, il devient assistant parlementaire d’un élu de Yokohama où il se fait élire en 1987, à 28 ans, conseiller municipal. Neuf ans plus tard, il devient député de cette grande ville de l’est du pays (proche de Tokyo) où il est régulièrement réélu.
Artisan du retour au pouvoir en 2012 de Shinzo Abe, il est récompensé par le Premier ministre qui le nomme porte-parole et surtout secrétaire général du gouvernement. Un poste stratégique où il est « au cœur de toute la mise en œuvre et même sans doute en partie des choix politiques et économiques » de ces huit dernières années, explique Valérie Niquet. « Et c’est ce qui a sans doute rendu sa candidature incontournable ».
C’est lui qui est au cœur des « Abenomics », destinés dès l’arrivée de Shinzo Abe à relancer l’économie du pays. Il a également décidé d’un contrôle plus important du cabinet du Premier ministre sur les grandes administrations pour les reprendre en mains – gagnant au passage la réputation d’un tacticien habile, qui a réussi à mettre au pas la puissante bureaucratie japonaise. C’est encore lui qui avait lancé une politique d’ouverture au tourisme en favorisant l’octroi des visas aux pays asiatiques, particulièrement aux Chinois.
Enfin, selon le magazine Time, il a eu un rôle majeur pour que le TPP (l’Accord de partenariat transpacifique, un traité de libre-échange visant à intégrer les économies des régions Asie-Pacifique et Amérique) survive, en 2017, au départ des États-Unis de Donald Trump. En politique étrangère, il devrait, selon Valérie Niquet, poursuivre la politique de Shinzo Abe : « Fermeté à l’égard de la Chine en essayant de préserver des liens en raison des intérêts économiques, et préserver absolument l’alliance avec les États-Unis ».
Au sein du PLD, Yoshihide Suga n’est affilié à aucune faction. Il n’est pas considéré comme un idéologue, contrairement au nationaliste Shinzo Abe, critiqué pour avoir tenté de changer la Constitution pacifiste du pays, héritée de l’après-guerre, pour y inscrire l’existence des « forces d’autodéfense » (l’équivalent de l’armée au Japon, mais réduite à un rôle défensif). Fin 2013, Yoshihide Suga avait déconseillé à Shinzo Abe d’aller au sanctuaire Yasukuni, où est entre autres rendu hommage à des criminels de guerre japonais. Le Premier ministre s’y était quand même rendu et, devant la fureur de Séoul et Pékin et les critiques de Washington, n’y était plus jamais retourné.