Depuis le 5 mars, après le début de l’invasion de l’Ukraine, les journalistes accusés de diffuser des « informations mensongères sur l’armée » peuvent être condamnés à 15 ans de prison. Mardi 3 mai, en cette journée mondiale de la liberté de la presse, RFI fait le point sur sa situation en Russie où il semble ne plus en rester grand-chose.
Face aux menaces du Kremlin, aux fermetures forcées de nombreuses chaînes de télévision et de radio et aux blocages des grands réseaux sociaux connectés à l’Occident – Facebook, Twitter, Instagram, etc. –, beaucoup de journalistes russes ne peuvent plus exercer leur profession. Sergueï Buntman travaille pour la radio russe l’Écho de Moscou. Sa station a été interdite quelques semaines après le début de l’invasion de l’Ukraine.
Pour lui, ces nouvelles lois restrictives ont porté un grand coup à la liberté de la presse : « C’est tout à fait impossible, en tant que média officiel, d’essayer d’organiser des débats ou des discussions à propos des événements actuels. » L’agression de l’Ukraine a été un vrai tournant dans la manière dont il exerçait son métier : « Toute la machine de répression s’est mise en marche. Par étapes, on a fermé les médias comme l’Écho de Moscou ou Dojd. Les nouvelles lois qui prévoient des arrestations et des poursuites pénales sont de nouveaux coups portés à la presse. »
Inondation des canaux alternatifs
Malgré toutes ces atteintes à la liberté de la presse, beaucoup de journalistes continuent de publier en dehors des médias officiels. C’est le cas de Sergueï Buntman qui passe par la chaîne YouTube de l’Écho de Moscou pour continuer à informer la population. Une tendance confirmée par Stéphanie Lamy, spécialiste de la désinformation. Elle a écrit le livre Agora Toxica à ce sujet : « Il se monte des initiatives hyper intéressantes. Que ce soit avec des fenêtres publicitaires ou que ce soit avec les radios à ondes courtes qu’on a connu à l’époque soviétique. »
Sergueï Buntman se veut lui plus métaphorique dans la création de ces médias alternatifs : « En barrant ce fleuve d’informations, calme et professionnel, sont apparus des dizaines de petits ruisseaux crées par des journalistes. »
Le but selon Stéphanie Lamy ? « Atteindre différentes cibles de la population russe pour leur permettre de réfléchir de manière plus critique à ce qui leur est livré par le Kremlin. »
Mais si ces canaux sont accessibles relativement facilement, souvent à l’aide d’outils numériques comme les VPN, la population russe ne part pas forcément à la recherche de ces informations. Sergueï Buntman parle d’une sorte de complaisance dans la propagande : « C’est tout à fait possible de puiser l’information voulue. Mais “voulue” c’est le mot clef. Parce qu’il y a beaucoup de gens qui n’en veulent pas. Ils trouvent un confort dans la propagande et dans l’information unilatérale qui passe à la télévision d’État. »
La population russe face à l’information
Il reste tout de même difficile de sonder la population russe sur sa volonté de s’informer. Stéphanie Lamy se refuse de parler d’un bloc homogène pour évoquer la population russe : « Vous avez, bien sûr, les élites. Ceux qui sont proches du Kremlin, qui savent très bien que certains éléments de langage sont de fausses informations. En parallèle, vous avez d’autres élites, elles, critiques du pouvoir. »
Enfin, Stéphanie Lamy dégage une troisième strate : « Vous avez une large part de la population russe, reculée et éloignée des centres du pouvoir, qui reçoit les informations comme elles ont été validées par le Kremlin. »
La chaîne de télévision Dojd, elle aussi fermée depuis le début de l’offensive russe, montre bel et bien qu’une grande partie de la population tente tout de même de s’informer avec des médias libres et indépendants. La chaîne YouTube de Dojd, qui diffuse depuis l’Europe, a rassemblé plus de 20 millions de téléspectateurs pour ses premières émissions début mars.
Sergueï Buntman, lui, est resté à Moscou pour faire son travail de journaliste : « On fait notre devoir. C’est une nécessité de continuer à faire notre profession. » Avec ses collègues, il met au centre de son travail l’éthique et la déontologie de son métier, ce qui peut paraître paradoxal selon lui : « Ces médias sociaux et populaires n’exigeraient pas un professionnalisme avec des informations vérifiées et vérifiables, contestées et contestables. Sur ces plateformes, il est très facile de devenir militant. Nous essayons de préserver la profession, c’est très important pour l’avenir parce qu’aujourd’hui, le journalisme est complètement détruit. »
Face à cette situation, Sergueï Buntman ne s’attend pas à pouvoir reprendre l’antenne de manière officielle, sur un canal national, tant que Vladimir Poutine sera au pouvoir.
Source: RFI.FR