Suivez nous sur:

Actualité

Libre expression/ Education Nationale- Dr Coulibaly Dognima: “Le recrutement au primaire doit se faire du Deug au BAC+2”

Publié

le

Après une première partie, Dr Coulibaly Dognima, enseignant-chercheur en Histoire et instituteur, aborde le second volet de sa réflexion sur l’organisation prochaine des Etats généraux de l’école ivoirienne. Dans cette partie, il aborde la question des ressources humaines et leur formation.
Le frémissement du temps des états généraux de l’éducation se fait ressentir avec acuité.  A travers cette seconde publication d’une série sur l’école ivoirienne, apportons notre appui à cette idée que madame le ministre nous présente comme étant un nouveau contrat social entre nous et cette entité sociale qu’est l’école ivoirienne.
Le mode de recrutement des enseignants au primaire une catastrophe.
J’ai essayé de comprendre pourquoi recruter avec le BEPC dans un système éducatif qui cherche aujourd’hui ses marques dans une direction marquée autrefois par la performance et l’excellence. Certains responsables syndicaux m’ont dit ceci: “le BEPC est choisi pour réduire la pression budgétaire car ces enseignements coûtent relativement moins chers par rapport à ceux qu’on recrute avec le BAC. Et le temps mis pour être instituteur ordinaire est relativement long. Ce qui laisse à l’Etat ivoirien un temps de manœuvre. L’objectif étant de recruter plus d’enseignants afin d’établir l’équilibre avec le nombre de classes construites. Aussi,  le problème récurrent du déficit d’enseignants du primaire sera absorbé.  Cette approche n’est pas la meilleure.  Pourquoi ? Les brevetés de l’enseignement secondaire aujourd’hui n’ont pas le niveau de ceux d’hier. Notre système éducatif ne produit plus en masse des brevetés de qualité.   Les raisons se trouvent dans la qualité de nos offres de formations et de nos formateurs. Le passage automatique au sein d’un même cycle au primaire. Le passage en sixième dès l’admission au CEPE. Les coefficients uniformisés (subjectif). Le repêchage tout azimut fait au cours de cet examen, et la fraude devenue un fait banal, ont fini par rendre vil le contenu du BEPC. On a le BEPC certes mais quel est le contenu de ce diplôme qui fait de nous un enseignant en devenir? Il vaut peu de choses.
Une duperie morale et intellectuelle se fait sous nos yeux en ce qui concerne le recrutement des instituteurs.
Souvent quand je regarde certaines collantes des admis au BEPC je me demande, comment c’est possible. Être admis en n’ayant aucune moyenne dans les disciplines dites fondamentales. Il faut le faire. Mais j’attends dire que c’est vrai que c’est le BEPC qui est demandé pour présenter ce concours mais ceux qui sont admis ont généralement le BAC, la licence et souvent la maîtrise. Si c’est l’objectif assigné à ce concours, madame le ministre nous auront échoué. Ce qui pose un problème d’éthique mais aussi de conscience. Une justification d’une réalité contextuelle alarmante :” notre système éducatif ne produit que des chômeurs en réalité.  L’objectif n’est point de recruter des bacheliers, des jeunes qui ont la licence ou une maîtrise et de les payer comme des  instituteurs adjoints, des brevetés. La différence d’étude entre le BEPC et la maîtrise est de sept ( 7) ans. La crise de l’emploi ne peut être absorbée ainsi. Qu’elle est en fait la puissance de rendement d’un enseignant titulaire d’une maîtrise ou d’un master qui se retrouve par la force des choses comme un instituteur adjoint? Un enseignant sous payé par rapport à ses efforts de formation. Pas grand-chose.  Ce dernier ne donnera pas le meilleur de lui. Quand on a sué pour obtenir un doctorat, un DEA, un master ou une maîtrise et une licence et DEUG ce n’est pas objectivement pour être instituteur. Même si la crise de l’emploi brise leur rêve d’intégration sociale. Un pays comme la Côte d’Ivoire qui est la locomotive de l’UEMOA ne peut pas se permettre, après avoir fait l’expérience du recrutement au primaire avec le CEPE puis le BEPC et le BAC et revenir au BEPC dans un environnement en pleine mutation. Que voulons nous véritablement ? Aujourd’hui , la Côte d’Ivoire doit faire ses recrutements au primaire avec le DEUG ou le BAC plus deux . C’est la suite logique des choses. A t-on mené une enquête, une étude sur ce corps social ( BAC plus deux) qui peine à avoir un emploi? Un mécanisme de financement de notre système éducatif par nous mêmes efficacement mis en place est à même de régler la question de la pression budgétaire ( un post est en cours sur les mécanisme de financement de notre système éducatif).
Depuis deux décennies, avec un mode de recrutement biaisé, nous recrutons certains instituteurs par défaut également. Soit ils portent en eux les germes de leurs insuffisances soit le système a fini par les y contraindre.  Mais nous l’avons voulu ainsi. Les tares de notre système éducatif ont eu une incidence directe ou indirecte sur la qualité de nos enseignants certes, mais aussi, la fraude a plombé le mécanisme de recrutement des enseignants. Certains admis n’ont pas du tout le niveau et ce depuis plus deux décennies. Souvent, nous nous sommes demandés comment ils ont fait pour être là. Les professeurs des CAFOP se plaignent également couramment de ces nouveaux stagiaires. Ces stagiaires des temps modernes qu’on leur affecte.  Et les choses ne s’améliorent pas à ce niveau. Je vais vous raconter une anecdote madame le ministre. Au service pédagogique d’une inspection de l’enseignement primaire d’ABOBO, j’étais régulièrement dans les commissions de titularisation des nouveaux instituteurs. Étant allé voir un candidat dans un groupe scolaire d’ABOBO, nous avons très vite déchanté. Ce jour là, nous avons ajourné cette titularisation tant l’enseignant n’avait pas le niveau. Nous nous sommes demandés comment il a pu se retrouver là ? Comment a t-il pu être admis au concours du CAFOP? Comment a t-il pu échapper à la formation au CAFOP? Et comment il a obtenu son Diplôme d’instituteur adjoint stagiaire (DIAS) pour se retrouver là?
On voit, la fraude gangrène tout le système du recrutement et de la formation des enseignants. Il faudra y mettre fin. On ne peut tricher dans l’enseignement. Ou on est bien formé et on y a sa place ou on ne l’est pas et on est éjecté du système. Il s’agit là de la qualité des ressources humaines d’un pays.
 Au secondaire la situation est également inquiétante
 Tout n’est point rose également dans cet ordre d’enseignement de notre système éducatif.  La qualité de la formation de nos élèves professeurs s’est effritée également. Entre cours et stages des dysfonctionnements sont observés. Tout est fait pour aller vite, les fascicules “pleuvent sur la tête” des futurs enseignants. Les exposés se font de façon lapidaire. Là, c’est la poche du professionnel qui parle et c’est sa poche qui doit déterminer ce qu’il sera plus tard. Le temps accordé au travaux de recherche n’en parlons pas. Ensuite on a sorti la solution des enseignants bivalents. On est professeur d’histoire-géographie et français. Pour atténuer la pression budgétaire.  Madame le Ministre, les charges horaires et de travail d’un enseignant bivalent ne lui permettent pas d’être efficace dans les trois disciplines qu’il enseigne. À l’université, nous sommes soit, formés en histoire donc historiens, soit en géographie donc géographes, vous le savez, soit nous sommes en lettres modernes donc des lettres modernes. Mais en deux ans de formation il va falloir avoir des aptitudes, des compétences dans ces trois disciplines. Je sais que ceux qui font histoire, géographie et français ne voient pas le bout du tunnel. Ils ne savent pas à quel saint se vouer.  Une véritable course contre la montre. Ils ne seront performants dans les trois disciplines que juste le temps de leur titularisation. L’adage le dit, on ne peut pas poursuivre plusieurs lièvres à la fois. Et cela va impacter sur le rendement de ces enseignants. On me dira également que ce mode de recrutement a permis à  l’Etat de réduire la masse salariale et de satisfaire les besoins de nos établissements en enseignants. Mais, a t-on réfléchi sur l’efficacité de ces enseignants et sur le coût humain qu’une telle formation va engendrer à la longue?
Aujourd’hui, alors qu’il est question d’états généraux de notre école,  penchons nous réellement sur la relèvement du niveau du recrutement des instituteurs dans notre système d’enseignement primaire. Passons au BAC plus deux. Il est du standing de la Côte d’Ivoire. Nous avons formé assez de diplômés qui sont au chômage. Revoyons la qualité de la formation à l’ENS et au CAFOP également. Être enseignant c’est être bien formé.
A demain pour l’acte III qui sera porté sur le mode de recrutement des autres ressources humaines. Puis l’acte IV sera porté sur l’aspect structurel.
Dr Coulibaly Dognima
Instituteur ordinaire
Enseignant chercheur
à l’université Félix Houphouët-Boigny