Le pacte colonial, qui s’est traduit par la constitution de nos pays sous forme de grands comptoirs commerciaux, reste encore décrié à juste titre. Cette volonté du colonisateur nous a causé tant de torts et, soixante ans après les indépendances, de nombreux pays africains restent toujours des exportateurs de produits bruts et importateurs de produits élaborés.
La majorité des pays sur le continent importent les produits manufacturés, du matériel et équipements, et l’essentiel des biens de consommation courante, notamment dans les villes. Cela comprend aussi les produits alimentaires, ce qui est un comble pour des pays disposant de réserves suffisantes en eaux, terres arables, soleil, …
Le pacte colonial s’est également illustré par l’introduction des cultures de rentes (arachide, coton, cacao, hévéa, huile de palme, …) qui ont été intensifiées au point de constituer les cultures phares, voire les seules sources de devises pour nos pays, même si, ici ou là, quelques chainons de transformation sont esquissés.
L’une des conséquences dommageables de ce qui précède est que ce pacte fait de nos pays des concurrents. On exporte les mêmes produits et, jusque-là, on s’empêche de penser ensemble et de développer entre nous des relations commerciales et économiques. Le commerce inter africain constitue en moyenne 12% du volume des échanges (moins de 5% en Afrique centrale !).
La production agricole africaine est ainsi extravertie et de la mauvaise manière car les chaines de valeur passent au-dessus de nos têtes. Nous nous situons aux deux bouts des processus de création de la richesse mondiale, comme producteurs de matières premières et comme consommateurs de produits finis. Les deux bouts les moindre dont l’Afrique ne profite en somme.
Comme on le dit depuis plus de cinquante ans, Il faut inverser cette tendance malheureuse si l’Afrique veut compter et donner des perspectives à sa population de plus en plus jeune. En la matière, les pistes classiques évoquées sont les mêmes. On parle d’industrialisation, de fournitures d’efforts pour améliorer la compétitivité, d’accessibilité de l’énergie, d’infrastructures, etc. Ces
assertions sont vraies et il faut essayer de les suivre. Mais elles ne sont pas les seules voies vers le renouveau africain.
Parmi les pistes évoquées pour redonner au Continent quelques perspectives économiques prometteuses, on mentionne moins d’autres opportunités alors qu’il en existe. Il y a par exemple l’utilisation à notre avantage d’une conséquence du pacte colonial. Dans toute situation défavorable, il y a matière à tirer quelques initiatives positives.
En faisant de nous des producteurs de quelques produits seulement, on a aussi fait de nous de grands producteurs de ces produits et même les premiers ! Par exemple, la Cote d’Ivoire et le Ghana, à eux deux, représentent plus de la moitié de la production mondiale de cacao. Les productions d’arachide du Sénégal, du Mali, du Burkina, de la Côte d’ivoire et d’autres pays en Afrique de l’Ouest
ensemble culmineront à la première place mondiale. C’est semblable pour le coton, l’hévéa et cela serait sans doute similaire pour l’or, la bauxite, …
Cette position globale donne des moyens et procure un poids non négligeable dont on pourrait profiter et l’utiliser pour bâtir quelques stratégies communes de développement économique. De manière précise, on peut retenir le cas particulier du coton.
La dizaine de pays en Afrique de l’Ouest qui le produisent ainsi que le Tchad en Afrique Central mettent sur le marché plus de deux millions de tonnes de fibre de coton à chaque campagne. Ils produisent autant de graines de coton qui génèrent de l’huile pour la consommation et de l’aliment bétail. Plus de vingt millions d’africains vivent de cette importante culture qui génère des revenus
non négligeables pour les paysans et pour nos économies. Les zones de production cotonnière sont également des zones importantes de production vivrière mais également, on ne le sait pas suffisamment, des zones d’élevage par excellence. Cela fait déjà de cette spéculation agricole un facteur non négligeable de lutte contre la pauvreté. On pourrait, pour autant mieux faire encore, en
utilisant de manière intelligente la force de frappe que nous constituons ensemble.
Si les pays producteurs de coton décidaient de mettre en commun leurs filières avec un seul centre de décision, une seule société d’exploitation utilisant de manière optimale plus de cent cinquante usines, sur un espace qui dépasse la taille de l’Europe Occidentale et s’appuyant sur plusieurs dizaines de millions de producteurs, la donne changerait face aux négociants, face aux filateurs et
face aux grands groupes industriels internationaux. On gagnerait en capacité de négociations. Nous ferons des économies et on gagnerait en compétitivité et donc en opportunités pour les producteurs. Les économies de frais administratifs et commerciaux pourraient ainsi être transférées en rémunération aux producteurs.
Avec une force de frappe plus imposante, on pourrait mutualiser la recherche et la vulgarisation et donc agir de manière plus conséquente sur les rendements et accroitre encore la compétitivité du secteur et donc les conditions de vie des populations rurales.
Cet environnement attirera plus facilement les investisseurs pour renforcer la transformation, la relance de nos industries textiles et sans doute de nos industries de l’habillement, de l’artisanat, ….
Ce qui est valable pour le coton, l’est encore plus pour le cacao et aboutirait à des résultats encore plus probants. D’autres exemples existent et présentent chacun des perspectives positives pour le Continent.
L’union fait la force ! L’union politique éventuellement mais plus surement l’union économique. C’est sur cette voie que les pays développés ont d’abord engagé leurs processus d’intégration. L’exemple de l’Union Européenne en est une illustration. Pour notre part, on a pris l’habitude de décréter l’union sans que cela ne soit suivi d’effets concrets significatifs. Depuis des décennies, nos résultats
demeurent mitigés car nous peinons à passer au concret et à accepter les sacrifices à consentir. Plus que jamais, nous devons réfléchir à ces perspectives de coopération et d’intégration sectorielles.
L’agriculture, la première chance pour l’Afrique, nous en offre l’opportunité.
Moussa MARA