À l’occasion d’un discours à la nation, en prélude à la célébration de la fête nationale, le président de la république, Alassane Ouattara, a, entre autres mesures, décidé d’accorder la grâce présidentielle à l’ancien chef de l’Etat, Laurent Gbagbo, sur la ’base de l’Article 66 de la constitution qui dispose que « le Président de la République a le droit de faire grâce ».
La grâce est le pouvoir discrétionnaire qu’a le Président de la République de dispenser une personne condamnée de l’exécution de sa peine. Elle peut porter sur la totalité de la peine ou seulement sur une partie. Le Président de la République n’a pas à justifier sa décision d’accorder ou de refuser la grâce.
De même, un condamné n’a pas la faculté d’accepter ou de rejeter une grâce qui lui a été accordée pour la simple raison qu’elle constitue un acte de gouvernement non susceptible d’être déféré au Conseil d’Etat par la voie contentieuse.
Évidemment, parce que la grâce est sans effet sur une décision de condamnation, qui figure toujours au casier judiciaire, le condamné, surtout s’il a des ambitions politiques, préférerait une amnistie qui, elle, efface rétroactivement et complètement sa condamnation.
Confronté à une telle situation, le condamné gracié bénéficie tout de même d’une voie juridique pour espérer voir le compteur de son casier judiciaire remis à zéro : l’amnistie.
C’est l’article 101 de la constitution qui, définissant le domaine de la loi et du règlement, dispose que « la loi fixe les règles concernant notamment la détermination des crimes et délits ainsi que des peines qui leur sont applicables, la procédure pénale, l’amnistie ».
Il est donc clair que le président ne peut pas signer un décret d’amnistie. Tout au plus, il peut signer une ordonnance portant loi d’amnistie. Mais, même là encore, son pouvoir de signature n’est pas discrétionnaire, il est lié.
En effet, l’article 106 de la constitution dispose que « le Président de la République peut, pour l’exécution de son programme, demander au Parlement, par une loi, l’autorisation de prendre par ordonnance, pendant un délai limité, des mesures qui sont normalement du domaine de la loi ». Il doit donc être formellement et préalablement habilité (autorisé) par le parlement à signer une ordonnance d’amnistie. Une telle habilitation, sauf erreur de ma part, n’a pas été accordée pour la législature en cours, rendant illégale une telle ordonnance.
Il reste, toutefois, deux (2) autres possibilités législatives : le projet de loi d’amnistie et la proposition de loi d’amnistie pour « absoudre » M. Gbagbo qui vraisemblablement entend être dans compétition électorale de 2025 pour la présidentielle.
L’article 74. de la constitution précise, en effet, que « le Président de la République a l’initiative des lois, concurremment avec les membres du Parlement ». Le président peut donc soumettre au parlement (Assemblée nationale et Sénat) un projet de loi portant amnistie de M. Gbagbo Laurent, sous réserve de la loi d’habilitation.
De même, les élus de la coalition de fait EDS et PPA-CI peuvent, d’eux-mêmes, prendre l’initiative de proposer une loi en vue d’obtenir l’amnistie du neo gracié.
En réalité, les chances de voir une telle proposition de loi, portée par l’opposition, même dans son ensemble, être votée et aboutir à une loi d’amnistie sont relativement minces, compte tenu de la majorité absolue dont dispose le RHDP dans les deux chambres du parlement ivoirien (138 députés RHDP contre 81 pour la coalition PDCI / EDS sur un total de 255 députés).
La seule solution réaliste qui permettrait en l’espèce qu’une loi d’amnistie soit votée, c’est la négociation avec le RHDP. Soit, avec le président de la république afin qu’il signe une ordonnance d’amnistie pour la législature à venir, 2023, suite à une loi d’habilitation, soit avec le groupe parlementaire RHDP à l’Assemblée nationale.
C’est une voie qui est tout à fait possible lorsqu’on sait que le candidat du RHDP à la présidence de l’Assemblée nationale, Adama Bictogo, quoique bénéficiant d’une confortable majorité qui lui aurait permis d’être élu avec les seules voies de son groupe parlementaire, a tout de même sollicité (pour la forme) le suffrage des députés de l’opposition.
C’est une démarche emprunte d’humilité qui pourrait également inspirer les élus du PDCI et EDS en vue de solliciter le soutien des parlementaires du RHDP à leur éventuelle proposition de loi d’amnistie en faveur de M. Gbagbo.
La bonne question est alors de savoir pourquoi n’engagent ils pas ces négociations alors que, manifestement la prise d’une loi d’amnistie n’était pas à l’ordre du jour et encore moins au nombre des résolutions de la phase 5 du dialogue politique qui a eu lieu du 16 décembre 2021 au 22 mars 2022, tel que l’a, à juste titre, relevé l’UDCY, cosignataire du communiqué final, dans une déclaration publiée avant-hier dans les médias nationaux.
Le 11 août 2003, alors au pouvoir, le président Gbagbo avait promulgué une loi d’amnistie votée le 6 août par une large majorité de 179 députés pour, 2 contre et 1 abstention. Cette loi d’amnistie au profit des acteurs de l’ex rébellion n’a pu obtenir un tel plébiscite qu’en raison des négociations préalables entre les parties concernées en vue notamment de convaincre les députés de la coalition pro FPI au pouvoir de la voter.
Plutôt que de rentrer dans un bras de fer avec la RHDP qu’ils ont peu de chance de gagner, en l’état actuel des forces en présence au sein des chambres hautes (Senat) et basses (Assemblée nationale) du Parlement ivoirien, EDS, qui y a tout intérêt, devrait privilégier la voie de la négociation.
Le PDCI qui lui est en embuscade n’a en réalité pas d’intérêt politique à ce que ces négociations apaisées s’engagent. Il est en effet, en raison de l’alliance avec EDS, le grand bénéficiaire d’un statut quo qui éliminerait de facto M. Gbagbo de la présidentielle de 2025. Le PDCI récolterait donc les dividendes de cette « neutralisation judiciaire » de son neo allié non idéologique.
Gardons constamment à l’esprit, avec le Général Charles De Gaulle, que s’il est admis que les Etats n’ont pas d’amis et n’ont que des intérêts, il ne fait aucun doute qu’il en va de même pour les partis politiques. Alliance ou non et real politik oblige.
Kouadio JEAN BONIN
Juriste
Membre du cabinet international d’avocats Serres et associés, Parls
Président du Think Tank dénommé FIER.